quarta-feira, 20 de maio de 2009

Mohammed V et la France: Est-ce la France qui a fait Mohammed V?



Est-ce la France qui a fait Mohammed V ? Le questionnement est historiquement légitime. De fait, à trois reprises (en 1927, 1930 et 1953), les autorités coloniales ont pris des décisions qui ont mis l'ancien monarque sur les rails de l'Histoire nationale.



Le 8 novembre 1927

En cette fin 1927 où de nombreuses tribus tiennent en haleine pendant plusieurs semaines les envahisseurs français, les colonialistes jettent leur dévolu sur Mohammed, le plus effacé des enfants du sultan Youssef qui vient brusquement de rendre l'âme. Le jeune Ben Youssef doit ainsi à la Résidence générale d'être intronisé en tant que sultan de l'Empire chérifien. Les «stratèges» du Protectorat ont vu en lui la personne idéale pour occuper les fonctions, qu'ils voulaient honorifiques, de la Couronne alaouite. Ils ont ainsi réuni un comité ad hoc d'ouléma pour nommer un sultan fantoche. Ils ont préféré Hamada à ses deux frères car il était le plus jeune. Mohammed Ben Youssef est alors considéré comme le plus porté sur les plaisirs ordinaires de la vie et le moins attiré par la chose politique.

Le 16 mai 1930

C'est la date emblématique associée à la publication d'un décret sultanien qui retire les communautés berbères à la juridiction du sultan, basée sur la loi islamique, et les soumettent au droit coutumier (chose différente de la coutume car mise en forme par des juristes de l'administration coloniale en Kabylie). Le successeur de Lyautey, avec la complicité de Moqri, Grand Vizir et vieux renard de la politique, fait signer à Mohammed Ben Youssef le Dahir berbère. Abdellatif Sbihi, un patriote slaoui, fonctionnaire de l'administration chérifienne, a la preuve écrite de ce que les jeunes nationalistes considéreront comme la trahison de la lettre et de l'esprit du traité de Protectorat : la sauvegarde de la souveraineté du sultan et de l'unité de son empire. Tel un illuminé, Sbihi essaie d'ameuter les jeunes des écoles marocaines de sa ville. Salé puis Fès s'embrasent. D'autres villes suivront. Les autorités coloniales sont sur les dents. La lecture du Latif (Allahoma oltof fima jarat bihi almaqadir wala tofarriq beinana wa beina ikhwanina albarabir) atteint les oreilles du jeune sultan. Il est comme sonné. Il commence à comprendre que la plume qu'il tient entre ses mains lors de la signature des projets de loi présentés par les Français est une arme à double tranchant. Elle peut être fatale, au choix, pour le trône alaouite ou pour la présence française. Quand il recevra quelques temps plus tard Allal El Fassi, un des leaders des manifestants de Fès, il est confondu : il s'excuse à demi-mots et assure qu'il ne signera plus jamais aucun document qui irait à l'encontre des intérêts de la Nation. Le mythe Mohammed V est né. Les nationalistes déclarent, dès 1933, le «18 novembre» jour de fête et de réjouissance, ce sera la fête du Trône. Les autorités seront obligées en 1934 de «rapatrier» contre son grès le jeune sultan qui visitait Fès à l'occasion de ladite fête organisée par les «Lijan attazyine» mises en place par les nationalistes. L'alliance est scellée entre ceux-ci et le sultan. Elle durera sans grands accrocs jusqu'à sa disparition.

Le 20 août 1953

Devenant guide du nationalisme marocain dès les années quarante, suite, notamment, à son discours de Tanger en avril 1947, Mohammed V commence à être perçu par les colonialistes, non plus seulement comme un personnage versatile et ambigu qui vacille entre nationalisme et loyauté à la puissance protectrice, mais comme l'adversaire en chef de la France au Maroc. Paris nomme à la résidence un militaire brutal, orgueilleux et sûr de lui, le général Alphonse Juin. L'objectif est de remettre sur le droit chemin (celui de la collaboration) le sultan Ben Youssef. Celui-ci, qui a toujours été considéré par les tuteurs étrangers comme faible de caractère, fait de la résistance. Il manœuvre, renonce parfois, recule puis avance… Il fait confiance en ces temps difficiles à son professeur et cousin lointain, Cheikh al Islam Belarbi Alaoui, nationaliste sage et ardent à la fois, qui lui fait comprendre que la pérennité du trône alaouite a un prix : s'en tenir à l'agenda nationaliste : pas de co-souverainté, l'indépendance ! Rien moins que l'indépendance ! Les ultras de la colonisation, avec à leur tête Boniface, exigent son départ. Paris hésite puis cède à une coalition d'extrémistes français et de traditionalistes marocains. Mohammed Ben Youssef est déposé et mis manu militari dans un avion militaire en direction de son premier exil : la Corse. C'est le premier pas vers l'indépendance du royaume et vers la sacralisation de Mohammed V. Les Marocains commencent à raconter toutes sortes d'histoires miraculeuses à son propos. L'avion qui l'amenait sur l'île de beauté aurait eu une panne sèche et c'est lui qui le sauve d'un crash certain en soufflant dans les réservoirs de kérosène. Certains l'ont vu sur la lune. Au plus profond de la nuit, les femmes lancent leurs youyous sur les toits et s'interpellent les unes les autres en assurant qu'elles ont bien vu sidna là-haut. Les services de sécurité sont pris de panique et croient à un complot nationaliste. Mohammed V devient ainsi la principale force politique au Maroc. Une dernière fois grâce à la France.

Sem comentários: